Musique et littérature : la rencontre Craig Armstrong - René Barjavel

 

 craig armstrong the space between us Barjavel la nuit des temps  craig armstrong as if to nothing

J'ai vécu l'expérience unique et extraordinaire de lire un livre en écoutant la musique qui semblait avoir été écrite pour. Mes émotions n'en ont été que décuplées et je ressens aujourd'hui encore toute l'intensité de ce moment quand je repense à ces instants magiques. Fallait-il encore que je fasse se rencontrer la musique et le livre ! Voici comment cela s'est passé.

Tout a commencé dans le courant de l'année 2001. J'aime flâner dans les librairies à la recherche du livre qui m'attend. J'y vais un peu au hasard. Ils me présentent tous leur tranche et c'est là que je fais connaissance. Je donne suite ou pas. L'auteur, le titre ... je dois avouer juger à la tête du titre. C'est plus important que l'on ne le pense un titre. Ca ne sert pas seulement à classer l'oeuvre d'un même auteur par ordre alphabétique, ca en dit de suite beaucoup sur le contenu, sur la promesse offerte et sur le lecteur-même aussi. Un titre va glisser sur l'un et accrocher l'autre. Le titre c'est la toute première expérience du livre et du lecteur, les premiers mots de l'histoire, la quintessence même. Le titre c'est souvent lui qui me donne envie. Il vient me prendre la main, me la fait tendre vers lui. Il incline son livre sous mon doigt me le rendant accessible, ainsi dégagé de la meute, et me le dépose dans le creux de la main. Le livre, allongé sur le ventre, me dévoile alors les lignes de son dos et j'en sais dès lors un peu plus sur son histoire.
Et tout a donc commencé avec "Le grand secret". Tombé entre mes mains, il me disait contenir l'explication (certes fictive, mais quand même !) de l'assassinat de JFK. Il ne m'en a pas fallu davantage. Je suis inexplicablement intéressé par le personnage et le mystère entourant son décès, j'étais convaincu d'avance que ce livre était là pour moi. Je me suis régalé à sa lecture et j'ai voulu retrouver son auteur au coeur d'une autre aventure. Je me rappelle cette fois avoir erré dans les rayons de la Fnac de Pau (je vivais à Pau à l'époque) pour trouver mon prochain Barjavel. Par ailleurs, à la même période j'entendais régulièrement à la radio une pub pour le nouvel album de Craig Armstrong - il m'était alors inconnu - qui nous le présentait comme le compositeur de "Weather Storm", hit de son précédent album, "The space between us". Ce morceau me plaisait beaucoup, il m'était presque familier, je ne savais pas où je l'avais déjà entendu mais j'aimais beaucoup, dans le style musique de film, j'adore ! Je profitais donc de mon tour à la Fnac pour faire d'une pierre deux coups (en anglais ils disent tuer deux oiseaux avec une pierre et en allemands attraper deux mouches d'un coup de tapette (...)) et j'achetais "As if to nothing" le dernier album du Monsieur, ainsi que le précédent dont le titre phare m'avait donné envie. Barjavel m'avait quant à lui incité à choisir "La nuit des temps", titre plein de mystère et quatrième de couverture prometteur. Me voilà donc dans la rue, poche ballante remplie d'un bouquin et de deux CD tout neufs et l'impatience de découvrir tout cela.
Je me suis alors offert la soirée que vous savez... J'ai allumé mon poste CD, y ai placé Craig Armstrong, me suis muni d'un cousin mou pour ma tête légère et me suis allongé sur le dos, Barjavel entre les mains. Craig Armstrong a commencé à jouer, j'ai commencé à lire. Je ne sais pas si je me suis de suite rendu compte que la musique collait aux émotions que Barjavel me procurait, mais je n'ai dès lors plus lu une ligne sans écouter l'un ou l'autre des deux albums. L'un appartenant dès lors à l'autre. Comme un film et sa musique. J'en suis arrivé à me demander si Craig avait lu René et s'en était ensuite inspiré pour composer. C'était grandiose d'avancer dans l'histoire accompagné de la musique qui me l'a racontée aussi. Unique. Un peu comme de la lecture en 3D. Les images qui se créaient dans ma tête se mélangeaient aux notes de musique, si bien qu'en réécoutant les compisitions de Craig Armstrong je me retrouve aujourd'hui encore transporté dans l'univers de Barjavel, vers les émotions de son histoire d'amour. Un peu comme
réapparaissent les images et les émotions d'un film à l'écoute de sa bande originale.

Ah que ce fut bon... !

Ca avait commencé comme ca :

> Appuyez sur lecture et lisez le texte qui suit.

"Ma bien-aimée, mon abandonnée, ma perdue, je t'ai laissée là-bas au fond du monde, j'ai regagné ma chambre d'homme de la ville avec ses meubles familiers sur lesquels j'ai si souvent posé mes mains qui les aimaient, avec ses livres qui m'ont nourri, avec son vieux lit de meurisier où a dormi mon enfance et où, cette nuit, j'ai cherché le sommeil. Et tout ce décor qui m'a vu grandir, pousser, devenir moi, me paraît aujourd'hui étranger, impossible. Ce monde qui n'est pas le tien est devenu un monde faux, dans lequel ma place n'a jamais existé.
C'est mon pays pourtant, je l'ai connu...
Il va falloir le reconnaître, réapprendre à y respirer, à y faire mon travail d'homme au milieu des hommes. En serai-je capable ?
Je suis arrivé hier soir par le jet australien. A l'aérogare de Paris-Nord, une meute de journalistes m'attendaient, avec leurs micros, leurs caméras, leurs questions innombrables. Que pouvais-je répondre ?
Ils te connaissaient tous, ils avaient tous vu sur leurs écrans la couleur de tes yeux, l'incroyable distance de ton regard, les formes bouleversantes de ton visage et de ton corps. Même ceux qui ne t'avaient vue qu'une fois n'avaient pu t'oublier. Je les sentais, derrière les réflexes de leur curiosité professionnelle, secrètement émus, déchirés, blessés... Mais peut-être était-ce ma propre peine que je projetais sur leurs visages, ma propre blessure qui saignait quand ils prononcaient ton nom...
J'ai regagné ma chambre. Je ne l'ai pas reconnue. La nuit a passé. Je n'ai pas dormi. Derrière le mur de verre, le ciel qui était noir devient blême. Les trente tours de la Défense se teintent de rose. La tour Eiffel et la tour Montparnasse enfoncent leurs pieds dans la brume. Le Sacré-Coeur a l'air d'une maquette en plâtre posée sur du coton. Sous cette brume empoisonnée par leurs fatigues d'hier, des millions d'hommes s'éveillent, déjà exténués d'aujourd'hui. Du côté de Courbevoie, une haute cheminée jette une fumée noire qui essaie de retenir la nuit. Sur la Seine, un remorqueur pousse son cri de monstre triste. Je frissonne. Jamais, jamais plus je n'aurai chaud dans mon sang et dans ma chair.

Le Dr Simon, les mains dans les poches, le front appuyé au mur de verre de sa chambre regarde Paris, sur lequel le jour se lève. C'est un homme de trente-deux ans, grand, mince, brun. Il est vêtu d'un gros pull à col roulé, couleur pain brûlé, un peu déformé, usé aux coudes, et d'un pantalon de velours noir. Sur la moquette, ses pieds sont nus. Son visage est mangé par les boucles d'une courte barbe brune, la barbe de quelqu'un qui l'a laissée pousser par necessité. A cause des lunettes qu'il a portées pendant l'été polaire, le creux de ses yeux apparaît clair et fragile, vulnérable comme la peau cicatrisée d'une blessure. Son front est large, un peu caché par les premières boucles des cheveux courts, un peu bombé au-dessus des yeux, traversé par une profonde ride de soleil. Ses paupières sont gonflées, le blanc de ses yeux est strié de rouge. Il ne peut plus dormir, il ne peut plus pleurer, il ne peut pas oublier, c'est impossible...

L'aventure commenca par une mission des plus banales, la routine, le quotidien, l'ordinaire. Il y avait des années que le travail sur le continent antarctique n'était plus l'affaire des intrépides, mais celle des sages organisateurs. On avait tout le matériel qu'il fallait pour lutter contre les inconvénients du climat et de la distance, pour connaître ce qu'on cherchait à savoir, pour assurer aux chercheurs un confort qui eût mérité au moins trosi étoiles - et tout le personnel nécessaire possédant toutes les connaissances indispensables. Quand le vent soufflait trop fort, on s'enfermait et on le laissait souffler : quand il s'apaisait, on ressortait et chacun faisait ce qu'il avait à faire. On avait découpé sur la carte le continent en tranches de melon, et la mission francaise implantée de facon permanente à la base Paul-Émile Victor avait découpé sa tranche en petits rectangles et trapèzes qu'elle explorait systématiquement l'un après l'autre. Elle savait qu'il n'y avait rien d'autre à trouver que de la glace, de la neige et du vent, du vent, de la glace et de la neige. Et, au-dessous, des roches et de la terre comme partout. Cela n'aurait rien d'exaltant, mais c'était passionnant quand même, aprce qu'on était loin de l'oxyde de carbone et des embouteillages, parce qu'on se donnait une petite illusion d'être un petit morceau de héros explorateur bravant les horribles dangers, et parce qu'on était entre copains.
Le groupe venait de terminer l'exploration du trapèze 381, le dossier était clos, un double était parti au siège à Paris, il fallait passer à la suite. Bureaucratiquement, du 381, on aurait dû sauter sur le 382, mais ca ne se passait quand même pas comme ca. Il y avait les circonstances, les impondérables, et le besoin d'un minimum de variété.
La mission venait justement de recevoir un nouvel appareil de sondage sous glaciaire de conception révolutionnaire et que son constructeur prétendait capable de déceler les moindres détails du sol sous plusieurs kilomètres de glace. Louis Grey, le glaciologue, trente-sept ans, agrégé de géographie, brûlait de le mettre à l'épreuve en comparant son travail à celui des sondeurs classiques. Il fut donc décidé qu'un groupe irait faire un relevé du sol sous-glaciaire au carré 612, qui se situait à quelques centaines de kilomètres à peine du pôle Sud.
En edux voyages, l'hélicoptère lourd déposa les hommes, leurs véhicules et tout leur matériel sur le lieud'opération.
L'endroit avait déjà été grossièrement sondé par les méthodes et les engins habituels. On savait que des profondeurs de 800 à 1000 mètres de glace voisinaient avec des gouffres de plus de 4000 mètres. Aux yeux de Louis Grey, il constituait un champ d'expérience idéal pour tester le nouvel appareil. C'était, croyait-il, ce qui avait motivé son choix. Personne, aujourd'hui, n'ose plus le croire. Avec tout ce qui a été révélé depuis, comment pourrait-on encore penser que ce fut le hasard seul, ou une quelconque raison raisonnable, qui fit venir ces hommes avec tout le matériel nécessaire en ce point précis du continent, plutôt qu'en tout autre point de ce désert de glace plus grand que l'Europe et les Etats-Unis réunis ? ..."

Ca continue comme ca ...

...

   




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