Retrouvailles

8/1/09
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 retrouvailles

Bientôt une heure que j’attends, inconnu parmi les inconnus.

Nous sommes tous là, rassemblés, partageant le même espoir de voir apparaître un visage familier de derrière les portes automatiques. Elles nous font front, nous défient presque, préviennent un interdit : je me demande ce qui pourrait bien se produire si je me décidais à les franchir pour me rapprocher de mon visage familier à moi. Mais j’attends, immobile et impatient.

J’observe aussi. Je joue à composer des paires ou des petits groupes. J’essaie de rassembler ces étrangers qui vont se retrouver avant qu’ils ne se soient reconnus. J’y parviens avec plus ou moins de talent et de réussite. Parfois la chose est aisée, le bras de mon voisin inconnu se lève et le visage d’un nouvel anonyme s’illumine d’un sourire aussi automatique que l’ouverture des portes. Parfois, les regards se cherchent sans se rencontrer. Je cherche aussi et quand  je crois savoir, j’essaie de venir en aide à ces nouveaux inconnus arrivés d’ailleurs. J’ai trouvé celui ou celle qui va avec et je le leur montre, je leur crie dans un silence civilisé jusqu’à ce qu’ils s’élancent et s’enlacent enfin. Je suis dans le hall de l’aéroport de Munich et j’attends mon tour, immobile et impatient. A côté de moi un impatient immobile a trouvé un moyen imparable. Il tient une pancarte. Haut au-dessus de sa tête, un nom. Celui d’une prochaine retrouvaille. C’est une bonne idée, mais dans mon petit amusement je le considère hors-jeu et, sévère, ne joue pas avec lui. Parfois je n’ai pas le temps de me divertir car, malgré le nombre d’inconnus que nous sommes, certains se retrouvent comme seuls au monde, comme si l'un était le nez au milieu de notre figure d’inconnus, sans la moindre chance pour moi, yeux aux aguets, de former une nouvelle paire avant qu’ils ne se soient jetés dans les bras l’un de l’autre.

Le passe-temps fatigue aussi, alors je m’offre quelques récompenses, comme des fenêtres ouvertes sur des destinées secrètes, un instant accessibles. Je me fais inconnu indiscret me convaincant l’avoir mérité : j’ai su en premier. Je reste avec les retrouvés, j’observe du coin de l’œil, j’écoute oreilles grandes ouvertes. Ils parlent allemand et je ne saisis que quelques mots, mon accès est limité, je me concentre sur les émotions. Ils sont les petits-enfants, c’est évident j’ai reconnu les « Oma, Opa » joyeusement criés. La grand-mère ne pleure pas mais je sens l’émotion la submerger, cela déborde et elle me la communique. Je sens la larme me remplir l’œil indiscret. Celui resté figé sur les portes automatiques se remplit à son tour car il sait que bientôt le visage connu va apparaître avec tout le bonheur qui va remplir, remplir, remplir, faire déborder, un peu comme celui de cette grand-mère qui serre à nouveau l’enfant de son enfant contre son cœur aimant. J’essaie de tenir bon, cette histoire n’est pas la mienne, je rends l’émotion à cette vieille dame un peu moins étrangère. Elle pleure et la petite fille la rassure la prenant à nouveau dans ses bras. Elle lui dit que tout va bien, elles sont à nouveau ensemble. Elle n’a pas plus de dix ans. Son petit frère est lui avec son papi, je reste avec les filles. Pas assez d’yeux ! Et puis je me laisse imaginer ce qui les réunit désormais. C’est bientôt les vacances et les petits demandent depuis longtemps quand est-ce que l’on retourne chez papi et mamie, c’est trop bien !? Les parents n’ont rien dit jusqu’à la dernière minute et ils n’ont appris qu’hier au soir ce qu’allait être leur semaine de vacances. Demain vous dormirez en Bavière chez papi et mamie, la Ruhr ce n’est pas fait pour passer des vacances ! Ouais !! Trop bien ! Oh merci papa, merci maman. Ouais !! L’hôtesse qui accompagne les enfants leur dit au revoir. Dans ma langue ! L’oreille a réagi, l’histoire se réécrit toute seule, rapide dans mon esprit. Les enfants n’habitent pas la Ruhr, hier au soir ils ont pleuré quand ils ont su, cela faisait deux ans qu’ils n’avaient pas vu papi et mamie.

Un instant plus tard, j’entends parler français et je me surprends à tout comprendre, exactement comme si je découvrais seul parmi nous tous que madame n’a pas de petite culotte. J’ai soudain accès au secret d’une vie qui n’est pas la mienne. Je suis un peu gêné mais ils ne savent pas que je sais. Puis après tout, cela fait partie du jeu, là est ma récompense. Drôle de récompense, drôle de jeu, drôle d’attente. Je souris après avoir presque pleuré, les émotions se mélangent, je me sens tout drôle, immobile et impatient.

                                                                * * *

Une heure et demie de route me sépare de l’aéroport de Munich. J’ai compté deux heures pour ne pas être en retard, pour ne pas faire patienter mon hôte. Deux heures c’est suffisant : atterrir, récupérer ses bagages, trouver la sortie… c’est sa première visite en Allemagne, le premier voyage en avion. On s’y perd toujours un peu dans ces aéroports.

J’ai démarré à l’aube. J’ai roulé vers l’ouest dans une fuite du soleil levant. Il a fini par me rattraper sur l’autoroute, malgré la vitesse autorisée. Je roule comme si j’étais en retard. Je roule impatient. Le soleil brille dans mon dos et devant moi la promesse de nos retrouvailles mouille déjà mes yeux. Je suis surexcité et seul dans mon bolide, je lâche des cris de joie. C’est aussi la peine qui s’échappe un peu, les retrouvailles succèdent toujours une séparation. Comme un écho aux cris qui viennent de s’imposer, des souvenirs refont surface et me rappellent le manque et l’absence quotidiens. Je roule sans le savoir, je suis un peu ailleurs. Je me vois déjà dans le hall, déjà dans ses bras. Nous nous embrassons plus que d’habitude, c’est le temps perdu. Nous visitons déjà mon nouveau chez moi, je lui apprends déjà quelques mots allemands. La joie d’être à nouveau ensemble nous amène souvent à rire. Les discussions nous font du bien. Nous sommes curieux de savoir ce qui compose désormais la vie de l’autre. Nous ne faisons pas grande chose, nous sommes ensemble et c’est déjà beaucoup. C’est en tout cas le plus important. Nous prenons le temps … des regards … des silences ... Ces silences qui rassemblent et font du bien. Du bien, voilà, c’est ce qui remplit ces deux semaines à partager. Mais je sais que le temps passe vite et je me vois fuir encore le soleil, déjà. Après seulement deux semaines ensemble, deux semaines trop courtes, deux semaines de nouveaux souvenirs, deux semaines qui vont révéler le manque et l’absence. Je suis déjà triste de cette nouvelle séparation alors que les retrouvailles n’ont pas encore eu lieu. Je chasse cette vilaine idée d’un coup de main enthousiaste sur le volant et reviens au présent laissant une nouvelle fois s’exprimer ma joie d’un cri qui fait résonner son prénom.
(...)

                                                                * * *

Cela fait maintenant une heure que j’attends dans ce hall, immobile et impatient. Ai-je été trop immobile, trop impatient ? Je me retrouve bientôt seul et l’inquiétude gagne finalement mon esprit. L’avion est arrivé. Les bagages sont déchargés. Le tableau n’indique rien de particulier. Que se passe-t-il ? A-t-elle manqué l’avion ? Elle m’aurait téléphoné. Je consulte mon portable. Pas de message. Ne trouve-t-elle pas ses bagages ? S’est-elle perdue dans l’aéroport ? Ne trouve-t-elle pas son chemin, celui qui la mène à moi, là dans mes bras ? Je n’en peux plus d’attendre. J’ai peur qu’elle ne m’apparaisse pas. Et puis les portes s’ouvrent et je découvre son visage. Enfin. Elle ne m’a pas encore vu. Empressé, soulagé, je m’élance vers elle et ses yeux s’illuminent d’avoir rencontré les miens. Je fonds sur elle et l’emporte dans mes bras. Je la soulève du sol, l’envoie à nouveau dans les airs, euphorique, libre de la toucher, de la savoir à moi. Je tourne sur nous-mêmes. Je la serre contre moi et la repose au sol. Aucun mot n’a encore été prononcé. Mes lèvres cherchent sa joue et s’y posent goulument. Je l’aime. Je le ressens si fort. Comment m’est-il possible de vivre si loin d’elle ? De ne plus pouvoir sentir son être dans mes bras, la chaleur de notre amour ? Je pleure parce que cela fait mal et parce que c’est bon, tout à la fois. Elle aussi n’a pas pu retenir ce que nous partageons à présent, alors je la serre un peu plus fort et elle trouve la force de me dire au creux de l’oreille que c’est bon. Je relâche un peu l’étreinte et plonge dans son regard mouillé. Je veux la voir de près, je veux la retrouver, voir comme elle a changé, comme elle a grandi, comme elle est belle. Elle est devenue une femme. Je le lui dis comme un cadeau de retrouvailles. Elle est si belle, ma p’tite Lolo. Je prends son visage entre mes mains, comme un père fier de sa fille, et de tout mon amour l’embrasse sur le front. Elle m’a tant manqué ma petite sœur.

 

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Commentaires :

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  • Lolo dit :
    13/1/2009 à 12h 12min

    Petit commentaire deja fait a chaud par e mail...juste merci, tu me manque beaucoup..




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