La lettre oubliée

22/7/08
1 commentaire

chocolats

          

            Le mois dernier je me suis fâché avec ma grand-mère parce que je ne suis pas passé lui dire bonjour. C’est vrai, je ne suis pas passé lui dire bonjour. C’est vrai, j’aurai pu. Je ne lui avais pas dit être au village pour la journée pour réparer les câbles du téléphone après l’orage de la veille. Justement, je n’avais pas pu le lui dire. Les lignes étaient toutes hors-service. J’avais pensé qu’elle n’en saurait rien et que par conséquent elle ne m’en voudrait pas d’être rentré directement chez moi sans lui avoir fait la bise, après tout un aprèm sous la pluie. Après une semaine de cavale et de nuits raccourcies. On était vendredi et, dimanche, on mangerait ensemble. Alors… Alors une voisine m’a reconnu et lui a demandé de me remercier pour avoir réparé la ligne. Et elle a su. Que j’avais passé l’après-midi à quelques kilomètres de la maison et que je n’avais pas pris cinq minutes pour elle. Dimanche midi j’ai compris l’avoir déçue, mais elle n’a pas compris que la semaine, la journée m’avaient épuisé et que je n’avais plus eu la force. Tout simplement plus la force, sans aucun autre manque de respect ou de considération ou de je-m’en-foutisme pour ma vieille mamie qui se meurt et que j’oublie déjà. Elle m’a fait monter les larmes aux yeux. De colère, d’injustice, de peine. Pourquoi ne voulait-elle pas comprendre ? J’ai eu envie de lui dire qu’elle me faisait chier, mais non. J’ai tout ravalé et je lui ai fait mes excuses. Puis elle a trouvé le moyen de rajouter, comme pour conclure l’échange et asseoir sa position de matriarche, que la prochaine fois, si j’étais trop fainéant pour venir embrasser ma grand-mère, cela ne serait pas la peine de venir gueuletonner le dimanche suivant, elle serait trop fatiguée pour m’accueillir. Alors là je lui ai dit qu’elle me faisait chier, avec son caractère de cochon, avec son côté rancunier, avec son œil pour œil dent pour dent … avec tout ce qui n’est finalement rien à côté de la grandeur de mon amour, me suis dit-je plus tard à moi-même. trop tard. Mais bon, sur le moment elle m’a chauffé les oreilles et cela a soudain pesé très lourd. Un tas de souvenirs mis bout à bout est venu grandir comme une montagne entre elle et moi. Elle venait d’être tout entière celle que je n’aimais pas chez elle. L’imperfection qui la rendait attachante, qui nous faisait dire : « ben oui qu’est-ce que tu veux c’est mamie, on l’aime comme ça », venait de prendre le pas sur tout le reste, jusqu’à mettre ces mots dans ma bouche, dans ses oreilles, dans nos cœurs. Elle n’a rien dit, je me suis tu. On ne s’est plus regardé. Quand dimanche midi a laissé sa place à dimanche après-midi, j’ai dit au revoir mamie. Elle a regardé mon père. Il n’a rien dit. J’ai lancé un au revoir collectif et je l’ai quittée. Comme un con. Comme celui qui ne comprend pas ce qui vient de se passer, qui regrette mais qui se dit avoir eu raison. Celui qui se dit que ce n’est pas grave cela va passer, celui qui ne sait pas trop, qui hésite, qui se perd et s’en va.

(...)

Le lundi matin j’avais dormi, alors j’ai un peu oublié la veille. Et puis comme on l’entend de-ci de-là, la vie suit son cours, et si tu ne suis pas toi aussi, elle s’en va sans toi et tu cours après pour la rattraper. Je suis allé bosser, comme tous les lundis matins où il faut aller bosser parce qu’il faut aller bosser. C’est mon père qui m’a rattrapé dans la semaine. Cela serait bien que je m’excuse parce que mamie elle n’a rien montré mais elle en a eu gros sur le cœur, et faut l’excuser parce que mamie c’est mamie qu’est-ce que tu veux, on l’aime comme ça, hein !? Puis devant mon silence il a bégayé à nouveau son « he-hein !? – Ben oui, je lui ai répondu. – Bon alors. – Oui. » C’est comme cela entre mon père et moi, à coups d’onomatopées, de phrases pauvres en mots, sans verbe ni sujet mais riches de sens. Sans besoin de rien d’autre que ces sons qui nous suffisent à nous comprendre. J’ai laissé mûrir quelques jours encore, pour savoir comment j’allais m’y prendre. Je savais déjà que je ferai ce premier pas même si les torts étaient à partager. Il fallait bien que l’un des deux se lance après tout. J’ai commencé à écrire ce que j’avais envie de lui dire, ce que j’avais envie qu’elle sache, comme un brouillon de réconciliation où il ne faut pas se tromper et ne rien oublier. Et puis le brouillon est devenu une lettre, mes paroles des mots.

(...)

Ce matin je me suis enfin décidé à poster la lettre que j’avais oubliée sur mon bureau, par laisser-aller et manque de courage sans doute aussi. En forme de conclusion, j’ai finalement rajouté que j’étais trop con parce que ce qui comptait le plus dans toute cette histoire c’était mon amour pour elle, notre amour à tous les deux et qu’on venait de perdre un mois. Cela avait été plus facile de le lui écrire que de le lui dire, même par téléphone. Il faut dire par ailleurs que ma grand-mère aime beaucoup les courriers : lettres, cartes, parce qu’elles sont des traces inoubliables, paroles déposées sur le papier, des marques de l’histoire de sa vie, comme des pages d’un livre qu’on lui écrit et je savais que cette page que je lui avais écrite, serait une des plus belles. Cela m’avait bien plu, comme cadeau de réconciliation, d’autant qu’elle saurait que j’avais su. J’y avais ajouté une petite boîte de chocolats. Elle en est gourmande et de recevoir un petit paquet la mettrait en joie. Mon père qui m’avait motivé pendant trois semaines à dire pardon à sa mère, se réjouirait d’apprendre que je venais de me mettre un coup de pied au cul tout seul, comme un grand, pour envoyer cette lettre qu’il savait que j’avais écrite depuis une dizaine de jours. Je lui ai passé un coup de fil en rentrant manger à midi. Je ne suis pas reparti bosser l’après-midi, mon patron a compris. J’ai pris ma voiture, mon courage et j’ai serré les dents en démarrant. Je venais de pleurer pendant cinq minutes après avoir raccroché, je sentais que cela avait suffi même si cela voulait sortir encore. J’avais mouillé mes joues de culpabilité, de colère, de peine. De regrets. Bien que mon père m’ait annoncé que dans le coma elle ne lira jamais ma lettre, j’espère qu’elle se réveillera juste assez longtemps pour lui dire une dernière fois combien je regrette et combien je l’aime.

  

 

<   >

 

Partagez sur les réseaux sociaux

Commentaires :

Laisser un commentaire
  • Jacqueline dit :
    24/7/2008 à 12h 12min

    L’émotion est toujours au rendez-vous. Viennent s’ajouter les regrets. Regrets inévitables. On a toujours un regret quand on perd un être qui vous est cher. Regret de ce qui n’a pas été dit, qui n’a pas été fait ou qui a été fait. Le regret c’est encore de l’amour.




  • Créer un site
    Créer un site